Du design d'expérience utilisateur à l’impact global avec la permaculture

6 septembre 2024 par
Du design d'expérience utilisateur à l’impact global avec la permaculture
pedro taveira

En tant que spécialiste en UX design et en behavior design, mon travail consiste à concevoir des expériences qui répondent aux besoins des utilisateurs tout en orientant leur comportement de manière subtile mais efficace. Ce processus m’a poussé à explorer des modèles de design plus globaux et durables. Mon implication dans le projet Farmbetter, une initiative qui aide les agriculteurs d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud à s’adapter aux défis du changement climatique grâce à la technologie, m’a ouvert de nouvelles perspectives sur l’impact du design. Ce projet a profondément transformé ma vision du design et a influencé mes choix de vie (je partagerai bientôt un article détaillé à ce sujet). C’est dans cette quête d'impact positif par le design que j'ai découvert la permaculture à travers le livre de Bill Mollison. Je dois cette découverte à Xavier Rouget, fondateur du magnifique projet Fanyatu, dont la mission est de reboiser le bassin du Congo tout en autonomisant les communautés locales. Son projet a renforcé ma conviction que le design ne doit pas se limiter au numérique, mais doit également servir d’outil puissant pour transformer des systèmes entiers, qu’ils soient naturels ou sociaux.

En découvrant le “Permaculture Designer’s Manual” de Bill Mollison, j’ai rapidement réalisé que la méthodologie que j’applique en design partage de nombreux points communs avec les principes fondamentaux de la permaculture. Qu’il s’agisse du design UX, du behavior design (design comportemental), de l'anthropologie ou encore du design écologique, tous ces champs partagent des concepts fondamentaux tels que l’observation, la conception systémique et la prise en compte des interactions. Explorons ensemble la diversité du design à travers ces pratiques, en montrant comment elles convergent vers une même approche globale.

Les fondements de la permaculture selon Bill Mollison

Pour ceux qui ne connaissent pas la permaculture, il est utile d’expliquer brièvement ses principes. La permaculture, telle que décrite par Bill Mollison dans son livre est une méthode de conception d’écosystèmes durables inspirée des modèles observés dans la nature. Son objectif est de créer des systèmes autosuffisants en minimisant les intrants extérieurs. Un des principes fondamentaux est que chaque élément d’un système doit remplir plusieurs fonctions. Par exemple, un poulailler non seulement produit des œufs, mais fertilise également le sol et contrôle les insectes. La permaculture valorise aussi l’utilisation des ressources locales et renouvelables, comme l’énergie solaire et l’eau de pluie, pour réduire la dépendance aux ressources non renouvelables. La diversité est essentielle car elle renforce la résilience des écosystèmes en permettant une meilleure adaptation aux changements environnementaux.

Principe du Push & Pull qui consiste à repousser les nuisibles tout en attirant les prédateurs naturels et les pollinisateurs, créant un équilibre écologique favorable à la culture.

Principe du Push & Pull dans une exploitation d'Uganda. Ce principe consiste à repousser les nuisibles tout en attirant les prédateurs naturels et les pollinisateurs, créant un équilibre écologique favorable à la culture. 
Crédit photo: pedro taveira

Observer et comprendre avant de concevoir

Dans ma pratique quotidienne en design, la phase d’observation et de compréhension des utilisateurs est cruciale. Avant de proposer une solution, je mène des recherches utilisateurs, des tests d’usabilité et j’analyse les données comportementales. Ces informations me permettent de mieux cerner les motivations et les besoins des utilisateurs, tout en identifiant les points de friction dans leur parcours.

En permaculture, ce même principe est appliqué à la conception de systèmes écologiques. Bill Mollison insiste sur l’importance d’observer la nature avant d’intervenir. Avant de planter ou de construire, il faut passer du temps à observer les cycles naturels, les flux d’eau, et les interactions entre les espèces dans leur environnement. Cette observation minutieuse permet de concevoir des systèmes qui travaillent avec la nature au lieu de la contraindre. Mollison explique que la nature possède déjà ses propres solutions et que notre rôle est de comprendre ces dynamiques pour les intégrer dans nos conceptions .

Dans le cadre du projet Farmbetter, nous avons appliqué ce principe en étudiant de près les pratiques agricoles locales et les défis spécifiques auxquels sont confrontés les agriculteurs. Grâce à la solution que nous avons imaginée, ces agriculteurs reçoivent des recommandations personnalisées basées sur leur situation géographique, leurs pratiques agricoles et leurs objectifs, afin d’adopter des méthodes durables et résilientes face aux défis climatiques.

Cette approche basée sur l’observation me rappelle constamment que le design nécessite une compréhension profonde du contexte avant d’intervenir afin de créer des systèmes plus robustes et adaptés aux besoins réels

Approche systémique et conception holistique

L’un des piliers de la permaculture est l’approche systémique. Chaque élément d’un système écologique a plusieurs fonctions et interagit avec les autres pour créer un écosystème résilient. Par exemple, un arbre ne fournit pas seulement des fruits, il améliore la qualité du sol, sert d’habitat pour la faune et offre de l’ombre à d’autres plantes. En UX design, cette approche systémique se traduit par la création d’expériences qui ne considèrent pas chaque fonctionnalité comme isolée, mais comme un composant d’un tout. Une mauvaise navigation, par exemple, affectera non seulement l’accès au contenu, mais aussi la perception globale de l’interface et la satisfaction de l’utilisateur. Pour encourager un comportement donné, il est crucial de prendre en compte le contexte global dans lequel ce comportement se manifeste. Chaque incitation, chaque déclencheur doit être conçu de manière à interagir positivement avec les autres éléments du système.

Dans la permaculture, comme dans l’UX ou le behavior design, cette vision holistique permet de concevoir des systèmes où chaque élément a une place précise et des interactions multiples avec les autres éléments, ce qui renforce la robustesse du système dans son ensemble.

Zonation et hiérarchisation des fonctionnalités

En permaculture, le concept de zonation consiste à organiser les éléments du paysage en fonction de leur fréquence d’utilisation et de leur importance. Dans un système durable, les éléments les plus utilisés (comme les potagers ou les réservoirs d’eau) sont placés près de la maison, tandis que les éléments nécessitant moins de soins (comme les forêts ou les pâturages) sont situés plus loin. Cette organisation permet d’optimiser l’efficacité des interactions et de réduire les efforts. En UX design, on pourrait parler de zonation dans une interface utilisateur où les fonctions les plus essentielles et fréquemment utilisées (comme un bouton “achat” ou “recherche”) sont placées dans des zones facilement accessibles sur l’écran, souvent en haut ou au centre. Les fonctions secondaires, moins utilisées, sont reléguées dans des menus déroulants ou des onglets moins visibles.

Boucles de rétroaction et itération

Une boucle de rétroaction est un mécanisme dans lequel les résultats d’une action ou d’un processus sont réinjectés dans le système pour influencer les actions futures. Cela permet au système de s’autoréguler et d’ajuster son fonctionnement en fonction de ses propres résultats. Dans les domaines de la permaculture, de l'experience utilisateur ou du design comportemental, le concept de boucles de rétroaction est un outil fondamental pour maintenir l’équilibre et encourager des comportements durables. En permaculture, le compostage fonctionne comme une boucle de rétroaction positive : plus de matière organique est ajoutée, plus le compost devient riche en nutriments. Ce compost est ensuite intégré au sol, nourrissant les plantes et améliorant la qualité du sol. Les restes des cultures retournent au compost, créant ainsi un cycle autosuffisant. En behavior design, les boucles de rétroaction sont intégrées dans les solutions pour encourager ou décourager certains comportements. Par exemple, une notification de succès après avoir accompli une tâche dans une application peut servir de rétroaction positive pour encourager l’utilisateur à continuer.

Et maintenant ?

Le design ne se limite pas aux interfaces numériques, il peut également transformer des écosystèmes complexes. Que ce soit pour influencer des comportements humains ou structurer des environnements naturels, il a le pouvoir de créer des systèmes robustes. L’enjeu désormais est d’étendre cette approche à des domaines plus vastes, pour relever des défis globaux comme la durabilité et la gestion des ressources. Le design devient alors un véritable levier de transformation, modifiant notre manière d’interagir avec le monde.


Vous travaillez s​ur un projet qui relève de ces défis ? Contactez-moi, et voyons ensemble comment je peux vous acc​ompagner.


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